lundi 18 février 2008

Le suffrage universel

Aujourd’hui, et après une absence qui, il n’en doute pas, a jeté ses lecteurs dans un désarroi à la mesure de sa popularité, Maurice Dupuis (de Paris) se réattelle à son clavier, pour aborder, une fois n’est pas coutume, un sujet que d’aucuns qualifieraient de sérieux.

Car aujourd’hui, Maurice Dupuis, sans craindre de s’exposer aux foudres de l’opinion publique (qualificatif qui en dit déjà bien assez sur la valeur qu’on doit lui accorder) bien pensante, va aborder le délicat thème de la pertinence de la démocratie, avec le tact et la délicatesse qui le caractérisent.

N’ayant cependant pas pour objectif de produire une thèse exhaustive sur le sujet (Maurice Dupuis de Paris est d’un naturel modeste, que croyez-vous !), Il ne s’attardera que sur un point particulièrement aberrant, et qui fait néanmoins la fierté de l’Etat Français et de quelques autres de par le globe : le suffrage universel direct.

Ah, la merveilleuse institution que voilà ! Tous ensembles, citoyens unis dans un même élan par leur volonté d’améliorer la Nation, votons, déposons notre précieux bulletin dans les urnes, pour faire entendre notre voix, celle qui fera peut être la différence, qui sait, car elle a tout autant de poids dans les urnes que celle d’un sénateur, d’un magnat de la finance, ou d’un ministre, et ainsi nous guider sur le chemin des lendemains qui chantent…

Franchement.

Maurice Dupuis, de Paris, a le plus grand mal à comprendre comment une telle ânerie peut faire recette et illusion dans l’esprit de millions de personnes, sommes toutes à priori douées de facultés cognitives plus évoluées qu’une palourde. Et Maurice Dupuis tremblerait (s’il était de cette race d’Hommes qui connaît la peur, ce qui n’est bien évidemment pas le cas) à l’idée que l’avenir du pays dans lequel il vit soit gouverné, même indirectement, par un troupeau d’ânes non éduqués et totalement imperméables aux enjeux économiques et politiques qui président aux destinées des Nations. Car, si on y regarde de plus près, la population votante n’est pas constituée d’une majorité d’énarques (quel que soit l’opinion que l’on peut avoir de ces sinistres personnages, là n’est pas le problème), mais bel et bien de pékins lambda totalement inaptes à émettre un jugement pertinent sur les grands sujets qui constituent l’actualité politico économiques du pays (jugement dépassant le niveau d’une brève de comptoir, s’entend).

Là, devraient s’élever les premier boucliers. Qui diable est cet individu qui prétend remettre en cause le meilleur régime politique jamais mis en place de l’histoire de l’humanité ? Qui est ce maroufle, ce faquin, ce misérable, qui du bélier de ses diatribes tente d’abattre les portes de la liberté d’expression ? Eh bien, hormis le fait qu’il est évident que les portes sont communément faites pour être ouvertes, Maurice Dupuis se réaffirme une fois de plus dans sa conviction. La liberté d’expression ne donne pas licence à juger de la qualification d’un quelconque individu à gouverner. « J’aime bien Maurice » (opinion tout à fait louable, au demeurant), n’implique certainement pas « Maurice ferait un bon président de la République », amalgame que font trop souvent les électeurs.

On a coutume, à ce point de la discussion, de sortir le parallèle éculé selon lequel on n’a pas besoin d’être artiste pour être critique d’art. Là encore, il s’agit d’une bêtise sans nom, car lorsqu’on tente d’établir un parallèle illustratif, il est de bon aloi que les choses soient un minimum comparables, ce qui n’est en l’occurrence pas le cas. Seuls quelques sinistres individus de mauvaise foi avanceraient que les critiques d’art n’ont aucune compétence pour juger de la qualité d’une œuvre d’art. La plupart du temps, il s’agit de personnes trempant dans le milieu depuis de longues années, ayant souvent, mais certes pas toujours, une formation artistique jusqu’à un certain point. Maintenant, Maurice Dupuis pose la question : est ce que l’électeur moyen a suivi une formation politique ? Est il impliqué directement dans quelque organisation politique (autrement qu’en cotisant pour adhérer à un parti histoire de se faire payer des merguez une fois l’an à un grand festival qui tient plus de la Garden party que du séminaire d’études politiques) ? La réponse devrait être évidente : non.

On voit ainsi que les données sont faussées. Le parallèle n’a pas lieu d’être.

Ainsi, consulter le peuple entier sur des questions de politique, c’est comme demander à un aveugle de critiquer une toile, à un sourd d’analyser une symphonie, à un aveugle/sourd de voter à la Star Academy (Maurice Dupuis a bien conscience que cette concession qu’il fait dans ses exemples fait considérablement baisser le niveau de sa diatribe, mais il souhaite néanmoins se mettre à niveau afin de toucher le plus grand public possible). C’est aberrant, non pertinent, voire même dangereux si les enjeux sont d’importance !

Car dans le cas de ce fameux suffrage universel, lesdits enjeux sont de taille ! Qu’il s’agisse d’un référendum ou d’élire un président, l’impact sur le pays est énorme. Et sur quelles bases votent les électeurs ? Ah, parlons-en !

On observe en effet globalement deux comportements électoraux.

Le premier, que Maurice Dupuis (de Paris) qualifierait de moutonneux, consiste à se fier aveuglément aux directives de quelque gourou politique. Outre le fait que ces directives sont vraisemblablement biaisées par les intérêts personnels dudit individu (car Maurice Dupuis ne se voile pas la face : nous ne vivons pas dans un monde parfait, et les personnes dédiées au bien général ne sont pas légion), on peut supposer que les décisions de cette personne sont prises sur la base d’une solide culture politique, teintée de subjectivité ou pas, bien évidemment. Quel intérêt alors, de s’encombrer d’un suffrage universel, si un mot d’une « tète » politique fait voter tout une masse de moutons comme il le demande ? Ne serait-il pas plus simple que seule cette personne soit habilitée à voter, puisqu’elle a, d’une manière ou d’une autre, la compétence pour juger et faire un choix en connaissance de cause ? Les votes de ses supporters ne sont il pas, au final, seulement représentatifs de la cote de popularité de notre tribun, plutôt que de la valeur de ses idées ?

Le second comportement concerne les gens qui se targuent de connaître la politique, alors que de toute évidence il n’en est rien. Ce genre de personne qui va vous expliquer doctement que, elle, elle a lu la constitution européenne dans son texte intégral, et qu’elle, elle a tout compris, et qu’il faut donc voter Oui/Non/Chaton/Tétine-en-réglisse, comme si il s’agissait d’une évidence, ou bien qu’il faut voter pour Sarkoyale ou Miterrac, pour le même genre de raisons. Au final, sur quoi se base la décision du vote ? Des données fragmentaires, mal interprétées par manque de compétence, ou de connaissances des contextes plus larges. Un vote non fondé sur la raison, et donc potentiellement dangereux.

Résulte donc que les décisions prises par la majorité des votants est basée soit sur de l’émotionnel, auquel cas le vote s’apparente plus à un concours de popularité qu’autre chose, soit sur du vent (« un raisonnement personnel » diraient les experts politiques du café du commerce). Quelle constatation rassurante pour l’avenir du pays !

Voilà pourquoi, Maurice Dupuis le dit, et le répète, le suffrage universel est une ânerie sans nom, dont le seul point positif est de limiter les risques de prise de pouvoir par une élite / un groupe quelconque.

En effet, il est relativement facile, pour plusieurs personnes bien placées, d’en placarder d’autres avec l’étiquette « bouuuuh c’est mal ! », et ainsi d’éliminer tout risque ou presque que ces personnes puissent d’une manière « normale » accéder au pouvoir, d’où elles seraient en position de s’installer. Maurice Dupuis a en mémoire les mêmes événements que surement bon nombre de ses lecteurs en lisant ces lignes, à savoir les élections lors desquelles le candidat du Front National, dont Maurice Dupuis taira le nom, est parvenu jusqu’au 2eme tour. On a vu se lever une foule de gens pour aller défiler, manifester dans les rues, on a même entendu certains appeler à l’interdiction, comme si la peste, le choléra et la petite vérole allaient s’abattre sur le pays si ce monsieur, que nous appelleront « le cyclope » par commodité, se voyait élu. Attention, Maurice Dupuis souhaite être très clair sur ce point : il n’est pas question de supposer que Maurice Dupuis, de Paris, adhère de quelconque manière aux idéologies cyclopéennes, et il a bien conscience qu’il serait dangereux qu’un tel individu gouverne. Ceci étant dit, Maurice Dupuis reste tout de même abasourdi du nombre de partisans de la liberté, d’expression entre autres, qui marchaient dans les rues pour protester contre un choix qui a été fait par plus de 20% des votants, à ce suffrage universel qui est si cher à ces défenseurs des droits de l’Homme. La liberté d’expression, oui, mais quand on reste du même avis que moi.

Le vice est allé jusqu'à, quelques années plus tard, la réutilisation de cet évènement à des fins politiques, pour diaboliser l’électorat du cyclope et de ses sbires, afin de les ramener dans « le droit chemin », à voter pour des candidats plus « propres sur eux ». On voit bien que, s’il y a eu un effet « bénéfique », il est entaché d’un mode de raisonnement au moins aussi pervers. Et il laisse à supposer que ce genre de manipulation de l’opinion (comprendre « de la popularité de quelques figures de proues ») est tout autant réalisable dans l’autre sens, pour inhiber un point de vue qui pourrait être bénéfique au pays mais qui nuirait aux « manipulateurs ».

Allez savoir, il y a bien une majorité de gens qui pensent que le suffrage universel est une bonne chose !

Ce point est donc non négligeable, certes, mais il ne suffit pas à pouvoir affubler ce système d’autant de qualificatifs pompeux qu’on en a l’habitude.

A quand le permis de voter ?