jeudi 18 février 2016

Japon – Avril 2015 – Etape 3 – Fukuoka

Si on demande à un japonais de citer un érudit célèbre, il y a fort à parier qu’il mentionne Sugawara no Michizane.


Né en 845, en pleine période Heian, connue pour être  l’apogée de la culture et du raffinement de la cour impériale, Sugawara no Michizane est fils d’aristocrate, et, de fait, il reçoit une instruction soignée le destinant à des fonctions administratives au sein de la cour. 

Apres de brillantes études (il passe le plus haut concours de fonctionnaire à 26 ans), il intègre le gouvernement et y exerce des fonctions d’importance croissante, au gré des promotions qu’il reçoit, dans divers ministères. En parallèle, il dirige également l’école de son père, enseigne à l’académie de lettres (où il obtient l’équivalent de la chaire de littérature). Et tout ca alors qu’il n’a même pas 40 ans.

Il est ensuite nommé dans une province éloignée à un poste de gouverneur, dont il s’acquittera sans grand succès. Et pour cause, les archives montrent qu’il était probablement plus occupé à écrire de la poésie qu’à autre chose, sa production littéraire à cette époque ayant explosé ! 

De retour à la cour quelques années plus tard, il se lance dans les intrigues et alliances politiques, grâce auxquelles il gagne les faveurs de l’empereur. Malheureusement pour lui, il gagne également l’inimité de clan Fujiwara, ce qui n’est pas une bonne chose à cette époque (ce clan étant l’un de ceux qui tirent les ficelles de l’empire en sous-main, notamment en s’assurant des liens étroits avec la famille impériale en y mariant ses filles). 

Tout ira bien jusqu’au retrait de l’empereur Uda. Mais son successeur prêtera une oreille complaisante aux Fujiwara, et Michizane tombera progressivement en disgrâce, qui culminera avec sa démotion à un grade inférieur, et son renvoi à un poste mineur au fin fond du Chikuzen, sur Kyushu, où il vivra dans de pénibles conditions pendant 2 ans avant de mourir, n’ayant jamais pu retourner à Kyoto.

C’est là que les choses se corsent pour la capitale de l’empire, qui se trouve successivement frappée par une épidémie, une sécheresse et un incendie provoqué par la foudre tombée sur un palais (et qui a par la meme occasion roti un certain nombre d’officiels ayant joué un role dans son exil). Son rival Fujiwara no Tokihira, à l’origine de son bannissement, mourra de maladie, de même que les deux fils de l’empereur Daigo qui l’avait prononcé, et qui les suivra lui même dans la tombe quelques mois plus tard.

AH ON FAIT MOINS LES MALINS MAINTENANT HEIN ?!
Parce que bon, c’est pas parce qu’il faisait de la poesie en regardant des pruniers qu’il fallait le chercher, le Michizane. La conclusion s’imposa donc naturellement : devenu un onryo, ou esprit vengeur, Sugawara no Michizane est revenu régler ses comptes avec les responsables de sa déchéance.

Craignant pour sa vie, et peut etre un peu pour son empire aussi, l’empereur suivant décida de faire ériger un sanctuaire à sa mémoire, pour l’appaiser. Peine perdue, les désastres continuèrent, et ca n’est que 987, soit plus de 80 ans après sa mort, que l’onryo Sugawara no Michizane fut finalement apaisé.

Il aura fallu pour cela sortir le grand jeu : toute mention de son exil fut effacée des registres officiels, il fut réinstauré de manière posthume à son rang et à ses fonctions, un sanctuaire spécial fut érigé au nord de Kyoto (le Kitano Tenmangu) pour le célébrer sous l’identité de Tenjin, kami d’état (le plus haut grade dans la hiérarchie des kamis shintos), avec un festival spécial en plus pour faire bien !
Depuis, l’onryo Michizane qui pourfendait ses ennemis à coup d’éclairs et de maladies est vénéré comme Tenman Tenjin, le kami des études, que tous les étudiants vont honorer en période d’examens.

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Maintenant, section trivia !

Tenjin est honoré partout dans le Japon, et est souvent associé à deux symboles : le bœuf et les pruniers. Ces deux éléments sont intimement liés à son exil et ses derniers jours.

En effet, il est dit le bœuf qui transportait son corps pour l’emmener sur le lieu de son dernier repos a soudain cessé de vouloir avancer, près d’un temple bouddhiste, à Dazaifu. Ne pouvant aller plus loin, il fut inhumé sur place, où a depuis été érigé un sanctuaire à sa mémoire. C’est pourquoi on retrouve souvent des statues de bœufs sur les sanctuaires dédiés à Tenjin.
Wrong pic
C'est mignon !

L’un des passe-temps de Michizane, de son vivant, était de composer de la poésie en regardant ses pruniers en fleur. La vue de ses arbres serait ce qui lui a le plus manqué dans son exil. La légende dit que, après son décès, un des pruniers de son ancienne propriété de Kyoto, se languissant de son maitre, s’est déraciné et a littéralement volé jusqu’au lieu de son dernier repos. Cet arbre, que l’on peut contempler sur le sanctuaire du Dazaifu Tenmangu, près de Fukuoka, est appelé le tobi-ume, littéralement le prunier volant. C’est le plus célèbre des quelques 6000 arbres qui ornent ce très beau sanctuaire.


Le tobi-ume, sans fleurs parce que pas la bonne saison


1 commentaire:

Athreeren a dit…

Enfin, il est évident que la colère de Sugawara no Michizane n'était que sa façon de soutenir l'élection d'Hugues Capet. Parce que quitte à donner une importance démesurée à des coïncidences, autant le faire jusqu'au bout.