samedi 22 août 2009

Introduction - Part 3

« Gochisousama ! »1
Yataro se leva après avoir posé ses baguettes, et se dirigea vers la sortie. Les cours du soir avaient été fidèles à eux-mêmes, c'est-à-dire assommants, et c’est le ventre creux qu’il en était sorti. Il avait donc décidé de casser la croûte dans un petit restaurant proche dans le quartier.
Une légère brise l’accueillit à l’extérieur. Il était maintenant près de 21 heures, et la lune brillait clairement dans un ciel dégagé, entre deux immeubles. La journée avait été épuisante, mais le temps agréable lui donna envie de rentrer à pieds chez lui, à la fraîche.

Le quartier de Yurakuchô, connu entre autres pour ses nombreux petits restaurants et bars, bruissait d’animation. A plusieurs reprises, Yataro dut s’écarter pour ne pas être bousculé par des groupes de salarymen déjà complètement éméchés, la cravate autour du front, qui faisaient l’échelle (pratique consistant à alterner les bars d’un coté et de l’autre d’une même rue, d’où le nom pour le moins imagé) avec un enthousiasme évident.
La promenade pour rentrer chez lui était donc assez relaxante, et lui laissait, d’ordinaire, le temps de souffler un peu et de se changer les idées avant de réintégrer la maison familiale, où l’attendait immanquablement son démon de petite sœur. Il soupira. A tous les coups, l’école avait appelé pour prévenir de son comportement « inacceptable » (comme l’avait si bien souligné le principal, à de trop nombreuses reprises), et il allait écoper, non seulement d’un nouveau sermon, parental cette fois ci, mais surtout des taquineries à répétition de Rina.
Non pas qu’il n’ait pas aimé sa sœur. Non, au contraire, il l’adorait. Mais la modération était une valeur dont elle ignorait tout. Du coup, elle ne laissait jamais passer une occasion de taquiner et d’asticoter son frère, finissant immanquablement par le faire craquer…
Oh oui, la soirée… non, les journées à venir, s’annonçaient difficiles.
Quelle misère !

Se détournant de la grande artère qu’il suivait jusqu’à maintenant, Yataro s’enfila dans une rue de traverse. En journée assez animée – on y trouvait une petite boutique de vêtements, un poissonnier, un confiseur et un magasin de vélos –, elle voyait son activité diminuer en début de soirée, et c’est donc sans surprise qu’il s’engagea dans la voie déserte, laissant derrière lui le brouhaha et les lumières intenses de la grande avenue.
Cheminant doucement, son attention fut soudain attirée par un léger bruit sur sa gauche. Une sorte de frottement, de glissement, suivi de sons humides – « plotch, plotch, schouiiiik » –
Tendu, il ralentit le pas, et dirigea son regard dans cette direction en plissant les yeux. Fort heureusement, sa vue avait commencé à s’accoutumer à la pénombre toute relative du lieu, et c’est donc immédiatement qu’il localisa le coupable. Devant le rideau de fer barrant l’étal du poissonnier, pataugeant dans les flaques d’eau, et le regardant fixement de ses grands yeux verts, se tenait un énorme matou tigré.
« Rhaaa, me fais pas une peur pareille toi ! » le gourmanda-t-il, avec un petit sourire.
Décidant apparemment que l’intrus interrompant sa maraude nocturne ne présentait pas un bien grand danger, le chat ignora superbement cette remarque, et détourna la tête pour se remettre à flairer la boutique d’un air fort affairé.
Soulagé, Yataro s’apprêtait à reprendre son chemin, lorsque le chat se mit à miauler et à souffler de manière extrêmement agressive.
« Holà, d’accord, d’accord, je m’en vais, pas la peine de faire tout un from… » Commença-t-il, en se retournant vers l’animal. Qui ne soufflait, constata-t-il, pas le moins du monde dans sa direction.
Il sentit ses tripes se nouer, alors qu’il réalisait que les bruits de frottement et les « pas » humides avaient repris, tandis que le chat, hérissé, était resté immobile.
« C’est sûrement un autre chat, ou… ou un chien… » tentait de se rassurer Yataro. Mais il savait très bien, en son for intérieur, que dans un cas comme l’autre, il aurait déjà entendu des aboiements ou des feulements. Pas cette espèce de glissement mouillé qui se rapprochait de plus en plus.
Le matou cessa brutalement de souffler, et commença à gémir, se tassant sur ses pattes avant, et reculant un peu. Il fixait un point dans l’ombre, sur la gauche de Yataro.
Ce dernier, tétanisé, tourna lentement la tête, alors que le chat filait finalement sans demander son reste.
Il ne vit strictement rien.
Angoissé, il se frotta rapidement les yeux, et y regarda un peu plus attentivement.
Toujours rien. Il faisait trop sombre à cet endroit pour qu’il y puisse y distinguer ce qui avait tant effrayé l’animal. Trop sombre… Il réalisa soudain que la tache d’obscurité qu’il fixait s’était rapprochée de lui. Et que les bruits de succion étaient maintenant plus forts.
C’est alors qu’il comprit que la chose, quoi qu’elle soit, se cachait dans cette petite nappe couleur d’encre. Décidant qu’il ne serait pas une très bonne idée de se laisser approcher plus, Yataro pris ses jambes à son cou, et se mit à courir vers la grande avenue, à quelques centaines de mètres de là.
La lumière des éclairages municipaux semblait ne pas se rapprocher, et il sentait la panique l’envahir pour de bon. Bon sang, avait-il toujours été aussi mauvais à la course à pieds ? Si on lui avait un jour dit qu’il risquerait sa vie en fuyant un monstre non identifié, il se serait sûrement entraîné avec plus de sérieux ! Cette réflexion incongrue lui arracha un sourire fugitif. Il devait bien être la seule personne qui aurait, justement, pris un tel avertissement pour argent comptant, au lieu d’en rire comme d’une mauvaise plaisanterie.
Son sourire s’effaça immédiatement, et son cœur loupa un battement lorsqu’il bascula en avant. Complètement omnubilé par l’idée de fuir la chose et de rejoindre la grande rue le plus vite possible, il en avait oublié de regarder où il mettait les pieds… Aussi s’étala-t-il lourdement par terre, à plat ventre, l’air chassé de ses poumons sous le choc. Malgré ses mains qui le lançaient, sûrement copieusement écorchées par la réception, il roula sur le dos et se rétablit en position assise. Il s’était emmêlé les pieds dans quelque chose, ce qui lui avait fait perdre l’équilibre. Il frissonna en découvrant une espèce de tentacule noire et luisant enroulé autour de ses chevilles. Fébrile, il se mit en devoir de l’arracher, tirant sur l’objet caoutchouteux qui l’empêchait de se relever, avant de réaliser qu’il s’agissait d’une vieille chambre à air de vélo, qui avait sûrement atterri là suite à une exploration des poubelles voisines par un chat local.
Yataro commençait à retrouver son calme, et il put donc se dépêtrer les pieds, lorsqu’il sentit une goutte humide lui tomber sur les mains. Levant la tête, il vit avec horreur que la chose l’avait rattrapée, et se tenait au dessus de lui, suintant un liquide à l’odeur acre. Elle était immense ! Bien qu’il ne puisse pas la distinguer à cause de la nappe d’obscurité impénétrable qui l’entourait, celle-ci la dominait largement, comme pour l’engloutir.
Il essaya, au mieux de ses facultés, d’évaluer la situation. Il était assis dans une ruelle déserte, le dos à la seule voie d’évasion possible, de toutes manières hors de portée, et surplombé par une chose qui n’avait eu aucun mal à le suivre alors qu’il s’enfuyait éperdument. Ajoutez à cela qu’il sentait vaguement qu’il s’était abîmé le genou en tombant, et vous comprendrez qu’il arriva bien vite à une conclusion fort peu réjouissante.
« Quelle misère… »

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1 : Formule employée traditionnellement à la fin des repas. Se dit tout aussi bien lorsqu'on est en groupe que lorsqu'on est seul.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Hé ben, j'étais plus passé depuis un mois.

ça commence bien cette histoire. Des fantômes, des japonais, on a envie d'en savoir plus !

Typhon

Le Créateur Fou a dit…

Har har har!
Excellent, ce petit apéro.
Avoue, que dans le chapitre 2, "sécher", tu l'a fait exprès...

BtK a dit…

Hum... Comment dire...

AHOU !

Enizya a dit…

Merci pour cette suite.

Sven a dit…

Chouette, un lycéen doté de pouvoirs spéciaux, des ghosts partout, un gros monstre(mais il pourrait s'agir du principal du collège, on ne sait jamais avec les Saints Frères-Compagnons) et bien sûr, le cadre parfait : le Japon contemporain.

Sven(qui promets de passer plus chez vous, cher Maurice).

Blaireauman a dit…

J'ai une sensation de déjà vu à la lecture de cette partie 3...

Quelques remarques concernant la gent féline :

1. Les chats ont une horreur absolue du contact mouillé, même quand on les habitue tous petits à les doucher, ils ne se mettent jamais volontairement dans la flotte. Il est donc exclu que le matou de la poissonnerie "patauge" dans une flaque.

2. Face à un danger ou autre, le chat crache et grogne. Je pense que c'est ce que tu as voulu dire par "souffler de manière extrêmement agressive" (expression qui me fait loler grave).

3. Les tigres feulent.

Anonyme a dit…

T'as serieusement jamais entendu un chat souffler ?