mardi 1 septembre 2009

Chapitre 1 - "Oui, le découpage est arbitraire, et ?"

Yataro croisa les bras au dessus de lui, dans une ultime tentative de se protéger de l’attaque qui allait immanquablement survenir. Serrant les dents, les yeux fermés, il attendait, terrifié, le coup qui allait s’abattre sur lui. Il s’était toujours douté qu’il finirait par avoir des ennuis avec les créatures étranges qu’il voyait depuis toutes ces années, mais c’était une toute autre chose d’être réellement confronté à la perspective d’être dévoré par l’une d’entre elles.
Il entendit un choc sourd, spongieux, et une violente douleur commença à irradier dans son avant bras, lui coupant le souffle. Presque immédiatement après, il sentit une espèce de liquide tiède et visqueux se déverser sur lui.
« Oh merde… je vais me faire bouffer, elle me bave dessus, c’est foutu, c’est foutu, c’est foutu… »
Paralysé par la peur, Yataro n’avait même plus l’énergie de hurler. Quelques secondes s’écoulèrent, et la douleur dans son bras commença à refluer. Et la créature n’avait, semble-t-il, toujours pas décidé de passer à l’attaque.
Précautionneusement, craignant ce qu’il risquait de voir, il rouvrit lentement les yeux, et baissa sa garde. Sa manche droite était déchirée, et il put voir que son avant bras portait la trace d’un bel hématome, qui commençait à émerger. Le reste de ses vêtements était couvert d’une substance noirâtre, qui fumait légèrement.
Et devant lui, là où, quelques minutes auparavant, se tenait le monstre, il n’y avait plus qu’une grosse flaque de ce même fluide, qui s’évaporait à vue d’œil dans un panache de vapeur grasse et malodorante. On aurait dit un mélange de toilettes mal nettoyées et de marché aux poissons par une belle journée d’été.
Yataro tourna brusquement la tète sur le coté et vomit son diner sous les effets combinés de la peur et du dégoût. Bon sang ! Mais qu’est ce que c’était que ce truc ? Qu’est ce qui a bien pu se passer ?!
Ses jambes refusant toujours de le porter, il se traina péniblement à l’écart des restes de la créature, et prit quelques grandes inspirations afin de se calmer, et de récupérer des spasmes qui agitaient encore son estomac désormais vide. Alors, il put à nouveau regarder autour de lui.
Il remarqua assez rapidement, près de la « charogne », une grosse pierre anguleuse, qui, tout comme ses vêtements, était couverte de cet étrange mucus et fumait abondamment. Il prit alors conscience que c’était vraisemblablement cette pierre qui l’avait frappé au bras, lorsqu’il se protégeait aveuglément. Mais alors, se pouvait il que….

Un bruit de pas interrompit brutalement sa réflexion. Aux aguets, malgré son état de faiblesse avancé, il se tourna en direction de la source du bruit, et distingua bientôt une silhouette. A mesure que celle-ci se rapprochait, il put en distinguer les caractéristiques plus précisément.
L’individu qui se dirigeait vers lui d’une démarche assurée était un jeune homme élancé. Il devait mesurer près d’un mètre quatre-vingt, se dit Yataro. Il paraissait jeune, pas plus de la trentaine, et portait un grand pardessus gris, sur des vêtements plutôt ordinaires – un jean et un polo, semblait-il –. Il avait une cigarette à la bouche, et en soufflait la fumée par le nez, ce qui entourait son visage à l’expression impénétrable d’un léger nuage bleuté.
Il se dégageait de cet homme une présence imposante, presque menaçante. Mais après l’expérience qu’il venait de vivre, Yataro aurait accueilli le dernier des yakuzas avec des larmes de gratitude dans les yeux.
L’individu vint se camper devant lui, et lui tendit la main. Dans un soupir de soulagement, Yataro tendit la sienne pour qu’il l’aide à enfin se relever. Mais au dernier moment, l’homme écarta sa main, et l’adolescent surpris et déséquilibré, se retrouva une fois de plus campé sur son postérieur, à fixer son présumé sauveur d’un regard interrogateur.
Celui-ci, loin de se démonter, lui tendit à nouveau la main, paume vers le haut, mais cette fois en ajoutant d’une voix lasse :
« Cent mille.
_ Eh ? » Ne sut que répondre Yataro, cherchant à comprendre.
« Cent mille. Yens.
_ Hein ? Quoi ? Pour quoi ? Je … ne comprends pas bien…
_ L’exorcisme. »Fit l’homme, pointant du pouce la grosse pierre et les restes de la créature derrière lui.
« Je m’en suis occupé, donc tu me doit mes honoraires. Cent mille yens, c’est le tarif. Allez, envoie les billets, maintenant.
_ Mais … mais c’est stupide ! J’ai pas cet argent moi ! Et puis vous sortez de nulle part, vous faites je sais pas quoi, et d’un coup, je dois vous payer toute cette montagne de fric ? Pas moyen, c’est non ! » S’insurgea Yataro, qui avait retrouvé ses esprits.
« Désolé gamin, mais c’est mon business. Je travaille pas gratuitement, donc va falloir payer, d’une manière ou d’une autre. Et franchement, c’est pas si cher que ca, considérant que je viens de te sauver la vie. Allez, te fais pas prier plus que ca, et règle tes dettes. Tu peux t’estimer heureux que je t’aie pas demande de payer d’avance. Tu vois, t’es déjà une exception, alors va pas pousser ta chance un peu trop loin.
_ Mais je vous dis que je n’ai pas cet argent ! J’ai rien demandé moi ! C’est du racket, voilà ce que c’est. Ah, ca y est, je comprends mieux, c’était une mise en scène, hein ? Pas mal comme idée, on joue les sauveurs, et on en profite pour tirer un maximum des pauvres gens qui se sont fait avoir ! » Commentait à s’emporter Yataro.
L’homme soupira.
« Ecoute gamin, si je ne me trompe pas sur ton compte, je suis sur qu’au fond de toi, tu sais très bien que c’était pas une mise en scène, et que tu as vraiment failli y passer. Maintenant, tu m’as l’air de quelqu’un de raisonnable, et comme effectivement je ne t’ai pas demande ton avis avant de te sauver la vie, on peut envisager de trouver un arrangement pour que tu me payes.
_ Je…et bien… peut être, effectivement. » Commença Yataro, se relevant doucement contre le mur.
« Ou pas ! »
D’un geste brusque, il lança au visage de l’inconnu la vieille chambre à air de vélo, qu’il avait machinalement gardé à la main depuis qu’il s’en était dépêtré. Profitant des instants de confusion que cela provoqua, il bondit hors de sa portée, et se mit à courir pour lui échapper. Il était toujours affaibli des suites de son aventure récente, mais la crainte d’être pour de bon tombé sur un yakuza qui risquait de décider de vendre ses organes, ou quelque autre joyeuseté du même acabit, pour éponger une dette imaginaire, lui donnait le regain d’énergie qu’il lui fallait pour s’enfuir. Cette fois, le danger était bien réel, concret, et donc Yataro avait confiance dans ses capacités à y échapper. Il suffisait juste de courir assez vite…

Dans la ruelle, Ryuuji jura à voix basse. Le gamin l’avait réellement pris par surprise, et le coup de chambre à air avait fait voler sa cigarette, le brulant à la joue au passage.
Tournant la tète vers le fuyard, il constata que ce dernier avait presque rejoint la grande avenue. Il soupira, énervé. Athlétique comme il l’était, il aurait sans aucuns doutes pu le rattraper – le gamin avait l’air d’être un rat de bibliothèque, en plus –, mais après ? Certes, il avait fait preuves de plus de tripes que Ryuuji ne lui en aurait soupçonnées, en s’échappant ainsi, mais il ne pensait pas qu’il lui avait menti lorsqu’il lui avait dit ne pas avoir l’argent pour le payer.
Fouillant dans une poche de son pardessus, il se ressortit une nouvelle cigarette, et l’alluma distraitement. Inspirant une longue bouffée pour se calmer, il se détourna, et repris sa marche dans la direction opposée.
« Tch…. Sale journée décidemment. Deux pauvres dans la même soirée, c’est pas avec ca que mes affaires vont tourner… »

Au fond de la petite rue de traverse, la flaque de liquide nauséabond finissait de s’évaporer.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne savais pas que la famille Constantine s'était répandue jusqu'au Japon. Avec ce genre de personnage, la suite ne peut être qu'aussi bien que le début !

Athreeren

Wlad a dit…

Bon, va falloir que je lise ça, moi.

Le Créateur Fou a dit…

Wéééé!

J'apprécie fortement la suite.

Blaireauman a dit…

C'est vrai que pour l'instant, le personnage de Ryuuji me fait beaucoup penser à Constantine.

Enizya a dit…

Je dis pareil que comme le Créateur Fou il l'a déjà dit, mais après.